AMPLI INTEGRE
L’importateur Sound and Colors nous l’avait promis depuis un certain temps et il est enfin arrivé après quelques ultimes perfectionnements en usine. L’intégré Ayre AX-5 embarque des technologies introduites précédemment sur certains produits de la série R très haut de gamme du constructeur. Son élégance esthétique est à l’image de sa finesse musicale.
L’AX-5 est le plus puissant intégré produit par la société Ayre basée à Boulder dans le Colorado. Fondée en 1993 par Charles Hansen, également designer des différents produits de la marque, l’entreprise s’est fait connaître rapidement grâce à ses réalisations numériques qui ont toujours été à la pointe de la technologie du moment. Qui se souvient par exemple qu’Ayre a créé le premier DAC USB à transistors à transfert asynchrone de données ? Le catalogue a néanmoins toujours inclus des électroniques analogiques et l’AX-5 représente un certain état de l’art de l’intégré vu qu’il a été équipé des circuits qui ont établi la réputation de la marque et l’excellence de références Ayre, comme le préampli KX-R et le bloc mono MX-R.
Des circuits très originaux
L’intégré AX-5 est logé dans un superbe châssis constitué d’un assemblage soigné de plaques d’aluminium extrudé et anodisé noir. La somptueuse face avant avec afficheur central à diodes à segments et les deux onctueuses molettes agissant sur des roues codeuses sont en revanche usinées dans la masse. La tôle de fond est en aluminium brossé et laisse dépasser une extrémité du transformateur d’alimentation à tôles EI. Pour l’anecdote, le transformateur a été calculé précisément pour l’AX-5 et fabriqué conformément au cahier des charges techniques, mais il était trop gros pour le châssis, d’où l’idée d’ouvrir le fond. La sélection d’une des six sources s’effectue par le bouton de gauche qui agit sur un circuit de commutation à J-Fet, tandis que le volume se règle par celui de droite. Ces deux molettes servent également à parcourir le menu de réglages et à ajuster certaines fonctions selon les besoins de chacun (mise en service des entrées qui sont « OFF » à la première mise sous tension, attribution d’un nom à chaque entrée, réglage du gain sur chaque entrée, etc.). L’appui prolongé sur les deux poussoirs en face avant permet d’abord de commuter l’amplificateur en état de consommation basse puis d’accéder au menu. Le capot largement ajouré permet l’évacuation des calories assez nombreuses dissipées par les étages de puissance. La disposition interne est un miroir d’un canal vers l’autre. Autrement dit, le schéma symétrique par ailleurs sans contre-réaction est disposé de manière symétrique depuis les enroulements secondaires du transformateur central. La carte d’alimentation gérant le redressement et le filtrage de chaque voie est placée au dos de la face avant, les étages audio driver et de sortie de chaque canal sont installés sur un circuit imprimé recouvert d’un dissipateur ajouré à ailettes, tous deux sont posés au fond du châssis. La face arrière qui reçoit toute la connectique de niveau ligne et une paire de connecteurs Cardas pour haut-parleurs, une constante chez Ayre, est flanquée des étages VGT (pour Variable Gain Transconductance) et du système motorisé à double commutateur Shallco à 46 positions et résistances calibrées qui servent à ajuster ce gain variable. Les technologies utilisées dans l’appareil donnent une idée du degré de perfectionnisme de Charles Hansen. Ça commence par l’alimentation équipée d’un transformateur à tôles EI, supérieur selon le fabricant en termes de réjection des bruits secteur, et pourvue d’un filtre RFI maison qui réduit encore la pollution électrique. Certains composants ont été fabriqués sur mesure (résistances et condensateurs au polystyrène). Et la topologie entière symétrique est dotée de plusieurs circuits préalablement validés sur les électroniques les plus ambitieuses du catalogue. L’étage de sortie travaillant en classe AB est bâti autour du circuit Diamond qui a été breveté en 1967 par Richard Baker. Basiquement, ce circuit en pont de transistors bipolaires (PNP et NPN à bases communes en entrée, NPN et PNP à émetteurs communs en sortie, émetteurs d’entrée raccordés aux bases de sortie, collecteurs tous communs) dont la structure pourrait être dessinée comme une étoile des vents qui rappelle les facettes d’un diamant, offre beaucoup de gain, il est rapide, fiable et simple. L’AX-5 adopte un circuit Equilock, sorte de cascode symétrique à transistors bipolaires, pour driver le Diamond sans condensateur de liaison. Une des spécificités majeures de cet intégré est son circuit VGT qui remplace purement et définitivement le traditionnel réglage de volume à potentiomètre. Plutôt que d’appliquer du gain au signal entrant puis de le moduler par un potentiomètre placé sur le trajet audio, ce qui en général dégrade le rapport signal sur bruit de l’appareil, l’idée a été de déterminer combien de gain il fallait appliquer à l’étage d’entrée pour obtenir le volume recherché en sortie. Ainsi l’étage d’entrée différentiel à J-Fet voit son gain et la transconductance de ses transistors modifiés à chaque pas de réglage des commutateurs Shallco soit -1,5 dB sur une plage de 67,5 dB. Le signal ne subit ainsi aucune dégradation directe.
Fabrication et écoute
Construction : Le constructeur du Colorado nous a toujours habitués à des réalisations soignées au niveau de l’assemblage et de l’esthétique. Les lignes fluides de l’AX-5, au demeurant disponible en silver ou en noir, ne sont pas dissociées de l’usage intensif de l’aluminium, matériau de rigueur chez Ayre. L’implantation entièrement symétrique suit la logique imparable du trajet audio le plus court possible, le câblage reste ainsi limité. L’utilisation d’un système de commutation de résistances de précision, système motorisé et synchronisé par courroie, apporte une touche de nostalgie en comparaison des réglages de volume par chip intégré de plus en plus souvent rencontrés.
Composants : Cet intégré se singularise par la quantité de subtilités technologiques qu’il embarque. Sans être une nouveauté, le schéma symétrique et sans aucune contre-réaction adopte une topologie Diamant en sortie. Réputée pour être à la fois simple, fiable et performante, la structure a été optimisée par le fabricant. Le principe de la variation du volume sonore par réglage du gain de l’étage d’entrée à transistors J-Fet est particulièrement brillant puisque le signal n’emprunte ni escalier ni rampe résistive. Et d’un point de vue purement technique, on ne peut que tomber sous le charme des magnifiques commutateurs Shallco drivés par un moteur pas à pas, et un jeu de poulies et de courroie.
Grave : L’appareil sonne bien à froid, mais on gagne de la sérénité quand il atteint sa température de croisière, signifiant que la polarisation en classe AB s’effectue avec une bonne proportion de classe A au repos. Le registre de grave s’avère très consistant et visite les soubassements dans leur globalité. Ce n’est pas l’électronique à transistors la plus ferme qu’il nous ait été donné de tester, probablement à cause de l’absence de contre-réaction et d’une impédance de sortie conséquemment moins basse qu’à l’accoutumée. Néanmoins, c’est ce côté à la fois légèrement onctueux et tout de même articulé qui insuffle de l’authenticité au registre. Le volume virtuel de la contrebasse (piste « My Treasure » par Sinne Eeg, The CD Dali 3) conserve des proportions tout à fait familières.
Médium : La proposition sonore de l’AX-5 libère un grand nombre de détails sonores et un excellent suivi harmonique. Malgré une légère matité subjective dans le développement des notes, la justesse des timbres permet de reconnaître sans aucun effort tous les interprètes d’une performance ou la signature d’un lieu. Quel que soit le niveau d’écoute, on ne ressent aucune interférence tonale entre la position du réglage de volume et ce qu’on entend, prouvant si besoin était le bien-fondé du circuit VGT du constructeur.
Aigu : La bande passante très étendue dans l’aigu est à l’origine de la palette large de détails qui s’échappent des enceintes. Cette exploration harmonique insuffle une sensation d’aération assez surprenante aux différentes pistes mais bien présente dans l’enregistrement. Si le registre file avec de la douceur, on retrouve cependant la petite matité constatée plus haut dans l’expression des notes. Les extinctions sont un poil plus courtes qu’avec nos électroniques repères, mais la qualité des couleurs fondamentales contribue à donner de la matière et de l’épaisseur à cette région du spectre. Les cuivres de batterie (piste « Animal » par Francis Cabrel) semblent plus percutants que d’habitude, mais leurs vibrations s’éteignent un peu plus tôt, accentuant l’effet de proximité des interprètes.
Dynamique : La tenue en puissance de l’appareil et sa très grande stabilité à fort niveau d’écoute sont à même de venir à bout de la plupart des enceintes du marché soumises à tous les genres musicaux. Comme la batterie de la piste « Dis-le » (par le groupe Baz-Baz, CD test Cabasse) qui déborde d’énergie à chaque percussion de baguette et de boule de grosse caisse, ou l’entame orchestrale de la Marche de Radetzky dirigée par Nikolaus Harnoncourt avec une attaque collégiale très incisive des instruments. Dans un contexte sonore plus intimiste, l’AX-5 reproduit les plus discrètes inflexions musicales avec une répartition modulatoire précisément déployée sur toute la bande audible.
Attaque de note : L’AX-5 nous propose musicalement beaucoup de choses. La vivacité fait partie intégrante de son pedigree et c’est elle qui est responsable de l’ouverture sonore que dégage l’appareil dès qu’il commence à chanter. L’impression de matité que nous ressentions précédemment n’interfère subjectivement pas sur la qualité du dégradé harmonique et in fine sur le réalisme dont est capable l’intégré. Le baryton-basse George London interprétant « Wahn ! Wahn ! Überall wahn ! » (les Maîtres Chanteurs de Nuremberg de Wagner) semble évoluer dans la pièce d’écoute, la définition de la voix introduit un effet de présence étonnant. La lisibilité sur message complexe est excellente.
Scène sonore : C’est le critère subjectif qui interpelle d’emblée et avant les autres quand on commence à écouter l’AX-5. L’espace sonore apparaît vaste et aéré avec des proportions absolument crédibles. Elles diffèrent subtilement de celles de notre système repère, l’impression d’être plus proche de l’interprète confère une présence réjouissante au message, la profondeur moins accentuée ne trahit en revanche pas l’étagement très précis des plans. La largeur de l’image parfaitement stable dépasse allégrement le simple cadre des enceintes qu’on oublie rapidement.
Transparence : L’écoute de l’AX-5 a révélé quelques différences sonores par rapport à celle des électroniques de notre système repère mais, dans un cas comme dans l’autre, l’expérience musicale reste intense et implique l’auditeur. Ce qui est certain est le fait que l’Ayre insuffle beaucoup de clarté et d’aération à la restitution. Sa proposition tonale révèle une grande justesse de timbres et un équilibre tonal très satisfaisant. Et la présence qui s’en dégage a quelque chose d’hypnotisant.
Rapport qualité/prix : L’appareil est puissant, dynamique, musical, bien construit, bien présenté et emploie quelques techniques inhabituelles parfaitement maîtrisées par le constructeur. C’est un Ayre, et chacun sait qu’un Ayre n’est en général mais à juste titre pas réellement bon marché. Dans l’absolu et selon la tendance qui semble désormais se dessiner, il manque un DAC (même optionnel…) à l’AX-5 pour qu’il puisse jouer à arguments vraiment égaux avec les plus récentes fines fleurs de la catégorie.
Verdict
Votre serviteur avait découvert Ayre avec le modèle AX-7 E testé en avril 2012. La séduction avait opéré tout comme elle a à nouveau opéré avec l’AX-5. Ce dernier, techniquement supérieur, se révèle aussi beaucoup plus ambitieux sur le plan musical en général, ainsi que sur tous nos critères subjectifs, notamment en termes d’espace sonore et de définition en particulier. Ses performances techniques repoussent très loin les limites de son utilisation qui satisfera les amateurs de tous types de musique. Une électronique sophistiquée, dans l’Ayre du temps.
Fiche technique
Origine : États-Unis
Prix : 11800 euros
Dimensions : 440 x 120 x 480 mm
Poids : 21 kg
Puissance nominale : 2 x 125 W (8 ohms) , 2 x 250 W (4 ohms)
Réponse en fréquence : DC – 250 kHz
Sensibilité : 8V RMS (RCA, 1 Mohm), 16V RMS (XLR, 2 Mohms)
Entrées : 2 RCA, 4 XLR
Sorties : 1 paire de fiches HP Cardas, 1 XLR « enregistrement »