PREAMPLI/DAC

NAGRA HD DAC

Quand un constructeur organise une visite d’usine pour la profession, nous répondons très positivement. Quand en plus il vous invite à la présentation d’une nouveauté, l’intérêt redouble. Alors imaginez notre réaction quand Audio Technology Switzerland, département High-End de Nagra, nous a conviés à découvrir son dernier bébé, le Nagra HD DAC. En exclusivité mondiale !

Les présentations officielles de nouveaux produits de la part des constructeurs sont en général synchronisées avec les grands rassemblements mondiaux comme le CES de Las Vegas ou le High End de Munich. A grand renfort d’annonces et de marketing, ces événements parfaitement calés dans le temps préparent le terrain commercial aux distributeurs et autres revendeurs de la planète, d’une part, et alimentent les conversations et les envies de notre communauté audiophile, d’autre part. Mais ça coûte en général beaucoup d’argent, ce qui se ressent à l’arrivée sur le prix final du produit souvent plus attractif par la ou les forme(s) que sur le fond. Il existe également quelques fabricants qui restent plus ou moins en marge de ce calendrier événementiel et publicitaire. Ce déphasage se ressent même parfois sur leurs réalisations qui ne répondent pas toujours à la tendance (la mode ?) du marché. Ces constructeurs sont plus enclins à investir dans la matière grise, dans la R&D plutôt que dans la publicité et le marketing à outrance. Entendons-nous, la communication reste un outil nécessaire et fondamental dans la promotion d’un produit, nul ne saurait vendre le meilleur produit du monde si personne n’en entend jamais parler. Néanmoins il s’agit de trouver le meilleur équilibre entre les différents investissements, et il semble bien que le célèbre constructeur helvète Nagra ait revu sa stratégie high-end dans ce sens en créant au sein du groupe une entité dédiée à la haute-fidélité haut de gamme, Audio Technology Switzerland.

Rewind, pause, play !

Nous nous sommes donc rendus les 2 et 3 octobre derniers à Romanel sur Lausanne, petite commune des faubourgs de Lausanne située à quelques kilomètres de Cheseaux où se trouvent les locaux de Nagra. C’est d’ailleurs là que nous avions été invités par Matthieu Latour, directeur du marketing de ATS (pour Audio Technology Switzerland) lors de la sortie de l’amplificateur Nagra 300B pour découvrir l’entreprise Nagra. Nous nous étions entretenus également avec le concepteur maison Jean-Claude Schlump, ami de longue date de Stephan Kudelski, le fondateur de Nagra, qui était en charge de tous les projets de produits high-end dont cet intégré à triodes que, soit dit en passant, personne n’attendait vraiment… A la suite des demandes répétées des distributeurs du monde entier et de l’efficace travail interne de Matthieu Latour concernant la mise en place d’un programme de réalisations d’électroniques répondant aux critères du marché, les choses ont changé depuis 2012 puisque ATS est devenue une entité à part entière au sein de Nagra, avec un directeur général, une vraie organisation interne d’entreprise et des objectifs de résultats dans le temps. Et afin de couper le cordon ombilical logistique entre Nagra et ATS, cette dernière a déménagé toute son activité (management, R&D, production, stock et livraison) à Romanel. Notre visite nous a permis de rencontrer toute l’équipe d’ATS dont notamment Pascal Mauroux, directeur général, Marguerite Kudelski, fille de Stephan Kudelski et responsable du département R&D, et Philippe Chambon, responsable des projets high-end dont le premier bébé est le Nagra HD DAC. Le tour du propriétaire avec Matthieu Latour nous a permis de (re)découvrir le département « transformateur » d’où sortent des réalisations parmi les plus performantes (bande passante et respect de la phase relative) et les plus sophistiquées (circuits magnétiques, méthodes de bobinage) au monde, notamment après que Philippe Chambon a écouté, mesuré et recalculé autant de fois qu’il a été nécessaire les transformateurs qui équipaient les électroniques high-end. Philippe nous a confié qu’il n’a pas été simple au début (il a intégré ATS en début 2012) de remettre en cause ce qui avait été fait par son prédécesseur à l’origine notamment de la plupart des produits (magnétophones et enregistreurs numériques) qui ont établi à jamais la réputation mondiale de Nagra. Ce brillant ingénieur français est aussi musicien (il joue de l’orgue) et grand amateur de reproduction musicale (il se fabrique des enceintes Onken à seize ans). Mais il dispose d’une oreille particulièrement affûtée qui lui fait détecter un problème de phase, de timing en écoutant le préamplificateur Jazz qui est sur le point d’être lancé en production. Personne n’avait rien détecté, mais lui n’est pas satisfait et relance des séries de mesures sur les transformateurs qui équipent le Jazz. Il pointe le problème (déphasage relatif entre primaire et secondaire) et relance la fabrication des transformateurs une fois recalculés et approuvés à l’écoute par toute l’équipe ATS qui découvre ébahie ce que haute-fidélité high-end signifie.

Il va convertir tout le monde

Le convertisseur ATS Nagra HD DAC n’est autre que le premier convertisseur analogique numérique fabriqué par ATS. Le seul convertisseur high-end réalisé auparavant par Nagra était celui équipant les lecteurs CDC et CDP, mais ses performances tout à fait honorables étaient et sont très loin d’atteindre le degré de qualité sonore des meilleurs DAC actuels. Donc, il a fallu partir d’une feuille blanche avec un cahier des charges se résumant en une seule ligne : réaliser le meilleur DAC qu’il est possible de concevoir aujourd’hui. Philippe Chambon est d’abord parti d’un constat scientifiquement vérifié. L’oreille est très sensible au timing jusqu’à environ 35 kHz ! Cela nous permet les yeux fermés de positionner dans l’espace une source sonore. Le problème de l’échantillonnage de type PCM à 44,1 ou 48 kHz suivi d’un filtrage à pente raide est qu’il modifie la phase du signal et donc le timing (la répartition temporelle en amplitude des harmoniques) bien avant 20 kHz. Pour le suréchantillonnage à 192 kHz, le problème semble techniquement résolu, mais à l’écoute il subsiste encore des imperfections. En comparant une bande analogique master lue à partir d’un magnétophone Nagra 4S parfaitement réglé et capable de reproduire des fréquences jusqu’à 35 kHz sans atténuation, ou un système de lecture analogique digne de ce nom, et un système numérique à suréchantillonnage le plus performant qu’il soit actuellement possible de mettre en œuvre, une différence essentielle apparaît. Le numérique peine à traduire l’émotion de l’interprétation et à véhiculer une sensation spatiale en vraie grandeur par « manque » de profondeur. Même si ce dernier, dans le cas des convertisseurs de très haut niveau, propose une définition supérieure en extrayant plus de microdétails, il « pèche » par le fait qu’il n’arrive pas encore à procurer cette impression de profondeur, cette troisième dimension géométrique qui d’un seul coup vous téléporte sur le lieu de la performance musicale et qui vous dresse le poil. On constate que le format PCM suréchantillonné superpose au signal original musical un certain nombre de signaux d’amplitude infinitésimale voire subliminale qui masquent un grand nombre de microdétails originaux et fondamentaux dans le ressenti subjectif, contrairement à l’autre méthode de conversion finalement retenue par ATS, le DSD. Malgré les grandes compétences de Nagra dans le domaine du numérique professionnel, il fut décidé de s’orienter vers ce format en demandant à un de ses deux créateurs, Andreas Koch, actuel patron de Playback Designs, de traiter le sujet pour ATS. La démarche de s’adresser au meilleur dans chaque domaine de compétences a été également appliquée aux autres sections du Nagra HD DAC, et ATS dispose d’un réservoir de talents humains assez impressionnant. Chaque spécialiste de Romanel (circuit imprimé, transformateur, alimentation, analogique) a ainsi contribué à la réalisation de cet exceptionnel convertisseur qui va très sérieusement chahuter le marché.

Le numérique…

Pour votre information, nous sommes le premier magazine au monde à avoir découvert et vu le DAC dans sa version définitive et à avoir pu écouter le prototype (copie quasi conforme du modèle de série) dans l’auditorium ATS. Autrement dit, ce banc d’essai de l’appareil est le tout premier à être publié sous quelque version papier ou dématérialisée que ce soit. La quantité de circuits qui prennent place dans le DAC a obligé ATS à revoir la taille du boîtier en profondeur. L’identité Nagra a été préservée en conservant les dimensions (largeur et hauteur) et l’équipement de la face avant, à savoir le célèbre modulomètre que personne n’imagine disparaître un jour et les molettes « bâton » encastrées. Comme à l’habitude, toutes les pièces du châssis sont réalisées par des sous-traitants suisses dans de l’aluminium, massif et usiné dans la masse pour la face avant et le capot ou plié pour la carcasse. Au côté du vumètre maison, un afficheur à LED informe sur l’état de l’appareil et une première molette située juste à droite permet d’accéder à deux niveaux de menus (sélection de fonction ou programmation) par appui plus ou moins prolongé. La mise à jour de ce menu s’effectue par carte SD (slot accessible sous le châssis). Un micro-interrupteur « Mute » permet de passer en sourdine soit la sortie ligne RCA ou XLR soit la sortie casque sur jack 6,35 mm qui bénéficie de son propre amplificateur. La molette de volume agit sur un potentiomètre motorisé Alps. Elle contrôle le niveau de sortie casque et le niveau de sortie ligne qu’on sélectionne par un second interrupteur à droite. À noter que le niveau ligne peut être commuté par le menu interne en niveau fixe 1 V ou 2,5 V, le potentiomètre est alors bypassé pour la sortie ligne mais pas pour la sortie casque. La dernière molette met en ou hors service l’appareil. La face arrière reçoit toute la connectique numérique indispensable à savoir une S/PDIF sur RCA, une AES/EBU sur XLR, une USB 2.0 asynchrone et compatible PCM 32/384 ainsi que DSD2, et plus spécifiquement une RJ45 Ethernet pour le format I2S, une S/PDIF sur BNC. Le signal analogique sort sur une paire de RCA et une paire de XLR, deux mini-jacks permettent l’allumage à distance. Enfin deux connecteurs Lemo d’alimentation indiquent que le Nagra HD DAC nécessite deux boîtiers d’alimentation 12 V. Les différentes écoutes effectuées montrent que l’alimentation multiple MPS, dont les différentes sections à découpage sont synchronisées par horloge, s’avère beaucoup plus musicale que l’emploi de deux boîtiers Nagra 12 V indépendants. L’intérieur s’articule autour d’un boîtier capoté à l’arrière et d’une section analogique à composants discrets dont la quantité et la taille sont à l’origine du boîtier plus profond. Le capot doré abrite l’étage numérique mis au point exclusivement pour ATS sur cahier des charges ATS par Andreas Koch. Les entrées numériques RCA, XLR et BNC transitent par des transformateurs ATS avant d’attaquer, avec l’entrée USB, un FPGA ultrarapide, cadencé par deux horloges de 50 MHz et qui contient l’algorithme propre à ATS. Ce circuit est installé sur une carte céramique multicouche, la mise à jour de l’algorithme se fait par fichier WAV. Tous les signaux entrants sont ainsi convertis au format DSD2 par ce convertisseur Andreas Koch dont la sortie est envoyée sans filtrage vers la section analogique développée par ATS. Notons qu’il existe 25 alimentations différentes au sein de l’appareil dont certaines à découpage entièrement synchronisées entre elles par l’horloge interne du DAC, et 9 masses différentes réunies en un point précis. Chaque circuit dispose ainsi de sa propre alimentation, réduisant considérablement les risques d’intermodulation mutuelle.

…et l’analogique

Le circuit développé par ATS est en quelque sorte l’équivalent analogique du circuit numérique d’Andreas Koch en termes de perfection et d’objectif. Le signal symétrique à haute impédance issu du circuit de conversion est acheminé par une nappe blindée vers un étage buffer double mono sans gain, le gain étant ensuite appliqué par des transformateurs ATS ayant demandé plusieurs mois d’étude, de très nombreux prototypes et qui présentent une bande passante ultra-large et une phase redoutablement stable et constante entre 20 Hz et 100 kHz ! L’inconvénient de ce genre de transformateur est un enroulement primaire très inductif (impossible à piloter par une sortie de convertisseur Delta-Sigma) qui nécessite d’être drivé en courant, d’une part, et sans aucune contre-réaction, d’autre part, pour ne pas perturber la phase du signal. Ce qui a poussé ATS à concevoir le buffer à partir d’un amplificateur en courant spécifique par canal, ultrarapide et alimenté en énergie par plusieurs condensateurs chimiques tout spécialement sélectionnés pour cette application, le tout installé sur un circuit imprimé maison optimisé au niveau du trajet des pistes. La sortie secondaire de chaque transformateur est dirigée vers un simple étage à triode (issue d’une double triode de spécifications militaires d’un fabricant précis, équivalente à la ECC82) par le biais d’un condensateur de liaison dont le choix de technologie a nécessité une fois de plus un grand nombre d’essais, de mesures et d’écoutes. C’est un modèle à diélectrique naturel spécialement fabriqué aux Etats-Unis pour ATS qui a été retenu. Le tube installé entre un blindage en mumétal est polarisé en automatique, le cycle de mise sous tension (filament, haute tension) est cadencé précisément pour augmenter la durée de vie du tube. La haute tension d’alimentation est générée par un circuit à découpage. La sortie cathodique à basse impédance attaque une banque de condensateurs au polypropylène fabriqués sur cahier des charges par SCR. Les deux énormes condensateurs de découplage de la haute tension sont de technologie et de fabrication identiques à ceux de liaison. Le gain en sortie directement lié au rapport d’élévation des deux transformateurs est géré par des relais REED qui commutent des enroulements secondaires.

Écoute

Nous avons pu écouter en exclusivité le prototype le plus abouti du Nagra HD DAC, celui qui va servir de référence au modèle de série, dans l’auditorium de la société.
La pièce d’une vingtaine de mètres carrés a été traitée acoustiquement par panneaux absorbants et diffuseurs, ce qui lui confère une sonorité très naturelle avec absence de toniques et de réflexions parasites. Nous avons pu écouter des CD standards du commerce (16/44) et différents enregistrements numériques réalisés avec un Nagra D durant le Festival de jazz de Montreux dont Nagra est un partenaire officiel. Sur la Passion selon Saint-Matthieu de Bach (CD), on a l’impression d’écouter le son en direct ! Ce qui est certain, c’est qu’on oublie totalement le système et encore plus l’origine du support. On reste sans voix devant la focalisation extrême des interprètes, la beauté des timbres, la justesse des ambiances. Les dimensions de la scène sonore sont d’un réalisme confondant grâce précisément à une profondeur qui insuffle un volume virtuel tout à fait inhabituel à la performance.
Le développement harmonique des notes atteint des sommets de naturel, de grâce, de délicatesse, de fluidité. La voix des interprètes prend une dimension humaine que nous n’avions encore jamais entendue avec une source numérique. Non seulement la haute définition est au rendez-vous, mais la texture sonore très analogique laisse pantois quant à la qualité du traitement du signal par ce DAC. Les extinctions semblent durer à l’infini sans qu’il soit nécessaire de monter le volume pour percevoir les plus infimes détails contenus dans la partition. À l’écoute de « Liliac Wine » par Kathy Melua à Montreux, en solo et à la guitare acoustique (piste 24/96 sur Nagra D), c’est simple : on ferme les yeux et soudain la chanteuse est là en chair et en os. On « voit » la guitare par le son des accords et des vibrations des cordes et de la caisse de résonance, on « regarde » Miss Melua les yeux dans les yeux, on est au bord de la scène et elle chante à trois mètres devant, juste un peu en hauteur. La piste se termine et on applaudit avec le public. Oui, nous y étions.

Conclusion

L’étude menée par Philippe Chambon et toute l’équipe d’ATS en collaboration avec Andreas Koch a abouti à ce que nous considérons comme très vraisemblablement le meilleur convertisseur numérique analogique encore jamais réalisé. L’osmose technique obtenue entre une section numérique de très haute volée et une partie analogique qui plane à la même altitude est à l’origine de cette perfection sonore obtenue. Le Nagra HD DAC n’est pas spectaculaire, il impressionne, par son réalisme, par son exactitude spatiale, par son allégresse tonale. Il nous rapproche un peu plus de la réalité comme aucun DAC ne l’avait fait jusqu’à présent. Un dernier point. Le prix du Nagra HD DAC avec bloc MPS n’est pas encore arrêté. Il restera assez élevé mais néanmoins en deçà de celui pratiqué par certains concurrents réputés… Nous tenons à vivement remercier Matthieu Latour, Philippe Chambon et toutes les personnes qui ont consacré un peu ou beaucoup de leur précieux temps pour nous faire pénétrer dans le nouvel univers d’ATS et pour nous avoir réservé l’exclusivité éditoriale de ce Nagra HD DAC.

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